Paustovskij cita Richter in "La plaine sous la neige", 1933

1933 : "Le destin de Charles Lonceville et autres histoires" récit historique, Gallimard, 1969 - 307 pagine

"La plaine sous la neige"

   Dès le crépuscule, il se mit à neiger et, la nuit venue, une neige poudreuse recouvrait la plaine. L'Océan poussait vers la grève de longs rouleaux de vagues. Celles-ci bruissaient sans répit— des mois, des années — et Allan s'était si bien accoutumé à ce bruit qu'il ne le remarquait plus. Tout au contraire, ce fut le silence environnant qui le stupéfia. Il lui sembla que le silence et la neige étaient tombés sur la terre ensemble. La neige froide, les vitres noires des fenêtres reflétant une bougie. Sans doute envoyait-on la flamme du large où les vagues malmenaient quelque lourde barque. Aussi les pêcheurs, les yeux tournés vers cette faible clarté, devaient-ils rêver à une marmite bouillante et à un lit sec. Allan eut un sourire désabusé. Ce leurre éternel, cette éternelle naïveté des rêves et des espoirs humains! ...

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(..) Bien qu'interloqué par sa question, je lui répondis y avoir assisté, un mois plus tôt, à un récital donné par le pianiste Sviatoslav Richter.  

— C'est que je suis sorti du Conservatoire de Moscou, m'expliqua-t-il. J'ai fait la classe de composition. Lorsque vous serez de retour dans la capitale, ne manquez pas de saluer de ma part la Grande Salle et notre orgue si fameux. Je vous le demande instamment!  

— Y a-t-il longtemps que vous avez quitté Moscou?  

— Sept ans, me répondit-il et il enchaîna : Vous êtes-vous déjà demandé combien il y a de pianos droits et de pianos à queue dans ce qu'on a elle les  «centres communaux» de l'arrondissemente de Vélikolouki? Dans les Foyers culturels des kolkhoze et dans une bourgade telle que cette Opotchka bénie des dieux ?

Perplexe une fois de plus, je lui répondis par la négative, ce détail n'ayant pas retenu mon attention. 

— Vous voyez bien! se récria le compositeur sur un ton navré. Et pourtant il y en a peu, scandaleusement peu. 

Un homme en veste de toile capitonnée entra dans le hall. Il répandait une violente odeur d'essence. Sans doute était-il chauffeur de camion. 

— Pépère, dit-il au musicien, venez, on va aller dîner à la cantine. J'ai de quoi aujourd'hui. On se payera un gueuleton. 

— Merci, mon ami! Mais vraiment je ne peux pas. J'ai un concert à donner dans deux heures à l'École municipale. Je dois y jouer du Tchaïkovski et du Chostakovitch. 

Il se tourna de nouveau vers moi. 

— Sept ans! s'exclama-t-il en me prenant par la manche de mon pardessus dans un geste de confiance. En sept années, j'ai parcouru tout le Nord de la Russie et à présent e fais le tour de l'arrondissement de Vélikolouki. Je donne des concerts dans des villages et dans des petites villes. J 'aurais pu vivre à Moscou et peut-être même connaître une certaine réussite comme bon nombre de mes camarades. En effet, je suis un homme seul et je n'ai pas besoin de grand-chose. Comme l'a formulé un poète : « Un croûton de pain avec un bol de lait, et puis ce ciel avec ses nuages », me suffiraient. Mais, comme vous pouvez le constater, je préfère errer de ville en ville afin d'y faire de la musique. Et en réalité, pour des sommes dérisoires.

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