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Prokof'ev, 1947

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P r o k o f' e v   1947
Richter, 1er Concerto pour piano



LES ARTS - D. Rabinovitch : Serguéi Prokofiev

[..] en 1921, la presse anglaise accueillit fort mal la représentation, à Londres, du ballet de Prokofiev, Chout (Le Bouffon). D'après le compositeur, sur cent vingt critiques cent dix-neuf le dénigraient. Prokofiev ne se tint pas pour battu. Au contraire, poussé par son entrain polémique, il accentuait encore son style déjà suffisamment aiguisé. Il horripilait même ses intimes. Dans des notes autobiographiques excessivement intéressantes, il raconte comment, pendant la période où il travaillait à l'opéra Le Joueur, sa mère, une musicienne, entra une fois dans la pièce où il se trouvait et s'écria avec désespoir  : « Mais te rends-tu bien compte de ce que tu tapes sur ton piano ! » A cette époque-là, Prokofiev semblait plein d'entrain, mais on comprendra aisément que sa voie n'était pas facile. C'est n'est pas sans raison que Maxime Gorki, cet observateur subtil et délicat, après avoir écouté l'admirable interprétation musicale du conte d'Andersen, Le Vilain Caneton par Prokofiev, dît : « Ça, Prokofiev l'a composé sur lui-même ». On ne doit pas s'étonner de l'opposition que les premières oeuvres de Prokofiev rencontrèrent même dans les milieux de musiciens professionnels. Son 1er Concerto pour piano, qui fit tant de bruit, avait été achevé en 1911.  La vie musicale de Pétersbourg et de Moscou s'enorgueillissait alors d'éminents musiciens, héritiers directs des traditions du classicisme russe du XIXe siècle : Glazounov, Rachmaninov et Taneïev. Metner était classé parmi les modernes. Le fougueux Scriabine commençait à peine à connaître la notoriété et son oeuvre était encore considérée comme ultra -moderne et comme presque en dehors des limites de la raison. Sur le fond des premières vingt années du siècle, la musique de Prokofiev passionnée, volitive, pleine d'une force vitale élémentaire, se raillant de toute faiblesse, préférant les harmonies dissonantes, les rythmes accentués, la démarcation extrême de la lumière et des ombres, devait naturellement faire l'effet de quelque chose d'insolite, de paradoxal. Et cependant, elle contenait déjà le lyrisme qui, après avoir évolué longuement en suivant une voie tortueuse, assura, en fin de compte, à Prokofiev une place marquante parmi les compositeurs romantiques de la « musique contemporaine ». De manière ou d'autre, il y a trente ans, la musique de Prokofiev était encore l'art de demain, et des années durent passer avant qu'elle ne devint réellement l'art de nos jours. Quel chemin a parcouru notre conscience musicale pendant le temps qui nous sépare des débuts de Prokofiev ! Au commencement de 1945, à Moscou, furent exécutées un même soir deux 5èmes Symphonies, — l'une de Prokofiev et l'autre de Chostakovitch, — deux œuvres en comparaison des quelles les premiers essais du jeune Prokofiev paraissent modestes et même naïfs. Et, probablement l'idée n'est venue à aucun de ceux qui étaient dans la Grande Salle du Conservatoire que cette admirable musique pouvait sembler étrange, «incompréhensible », intentionnellement excentrique. Dernièrement, l'un des meilleurs jeunes pianistes soviétiques, Sviatoslav Richter, a exécuté le fameux 1er Concerto pour piano de Prokofiev. Et, de nouveau, beaucoup de musiciens se sont souvenus avec étonnement qu'il y a trente ans cette œuvre relativement modérée quant à ses tendances modernistes (surtout si on la compare aux créations récentes de Prokofiev) scandalisait le public. L'œuvre de Prokofiev embrasse de préférence deux domaines. C'est d'abord celui du piano. Lui-même brillant pianiste aussi puissant qu'original, a dans ses compositions pour piano créé un style tout à fait nouveau. L'autre élément, cher à Prokofiev, est la musique théâtrale, spectaculaire. J'entends par cela ses opéras, ses ballets, ses œuvres pour orchestres, ses créations pour le théâtre et le cinéma. Dans son autobiographie, le compositeur indique lui-même le caractère essentiel de son œuvre. Une de ses manières est classique, sa source remonte à sa prime jeunesse, : « lorsque j'écoutais ma mère jouer les sonates de Beethoven », écrit-il. Les œuvres composées suivant cette ligne sont la populaire Symphonie classique et d'innombrables gavottes, menuets et rigodons. L'autre manière, la ligne novatrice, est dans la nature même de Prokofiev, ennemi de toute routine et de la banalité. La troisième ligne est la puissance du mouvement qui vit dans la musique de Prokofiev, et qui, parfois, comme par exemple dans sa Toccata ou dans le finale du 3ème Concerto pour piano jaillit, littéralement, avec une force invincible ; la musique se répand comme un torrent qui vient- de briser sa digue. La quatrième ligne est lyrique. D'une part, la musique de Prokofiev est matérielle jusqu'à la tangibilité. Prokofiev aime les massifs sonores, des « barbarismes » rappelant un amas chaotique de blocs de granit, les attaques furieuses, le choc d'accords faisant tache, l'âpre nudité d'impétueuses lignes mélodiques qui font songer aux branches effeuillées d'une forêt automnale. La musique de Prokofiev est réaliste, presque palpable. Il recherche tout ce qui est vitalement concret, individuellement buriné. Personne, semble-t-il, ne sait à un tel point, aussi naturellement que Prokofiev rendre par des sons un détail marquant, quelque trait psychologique plein d' originalité, les intonations spécifiques d'un parler caractéristique : que ce soient les Portraits musicaux des personnages du Joueur (d'après Dostoïevski), des paysans ukrainiens contemporains dans SémionKotko ou le postillon Balaga de Guerre et Paix ; que ce soit un gai dicton ou une déclaration d'amour. Sous ce rapport, Prokofiev est l'héritier direct et le continuateur de Moussorgski, cet immortel portraitiste musical russe. Ainsi donc : matérialité, peinture musicale, tendances réalistes. [..]


La Littérature soviétique, 1947


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