Bruno Monsaingeon
(extr. de interview, tutti-magazine 2013)
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Philippe Banel: Filmer Glenn Gould était sans doute très différent...
(extr. de interview, tutti-magazine 2013)
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Philippe Banel: Filmer Glenn Gould était sans doute très différent...
(Bruno Monsaingeon)
Avec Gould, pour les premiers films que nous avons tournés, les échanges de propos sont totalement spontanés dans un cadre qui, lui, est totalement scénarisé et mis en scène. Mais pour les films consacrés à Bach, les choses ont été différentes dans la mesure où, en raison d'un mal à l'épaule, il a annulé durant 3 ans toutes les séances de tournage que nous avions prévues. Mais une fois par mois, j'allais à Toronto pour le retrouver et nous avons pondu les textes ensemble. Nous les avons ensuite appris comme des comédiens pour le dire comme des comédiens. Dans ce cas, on aboutit bien sûr au sommet du contrôle. Mais Gould était aussi un formidable acteur et son génie a apporté au film une spontanéité extraordinaire.
Avec Gould, pour les premiers films que nous avons tournés, les échanges de propos sont totalement spontanés dans un cadre qui, lui, est totalement scénarisé et mis en scène. Mais pour les films consacrés à Bach, les choses ont été différentes dans la mesure où, en raison d'un mal à l'épaule, il a annulé durant 3 ans toutes les séances de tournage que nous avions prévues. Mais une fois par mois, j'allais à Toronto pour le retrouver et nous avons pondu les textes ensemble. Nous les avons ensuite appris comme des comédiens pour le dire comme des comédiens. Dans ce cas, on aboutit bien sûr au sommet du contrôle. Mais Gould était aussi un formidable acteur et son génie a apporté au film une spontanéité extraordinaire.
Et avec Sviatoslav Richter ?
Avec Richter ce ne pouvait qu'être improvisé. Sur les milliers d'heures de tournage, la plupart du temps, on m'entend parler mais il ne sort rien. Richter était alors très dépressif. De plus, il se montrait totalement innocent par rapport à la caméra. Lorsque nous étions à Antibes et que nous allions dîner, nous suivions ses instructions car il connaissait par cœur toute la côte et décidait toujours du restaurant dans lequel nous irions. Je me souviens très bien d'un soir où Richter était très en verve malgré sa fatigue. Il me demande s'il m'a bien raconté l'histoire de la Symphonie No. 9 de Shostakovich. Il m'en avait parlé à Paris lorsque nous avions travaillé avec seulement un magnétophone. Mais il me raconte à nouveau comment il déchiffrait le manuscrit au côté de Shostakovich, puis le compositeur prend peur au retour de sa femme. Shostakovich avait alcoolisé Richter à coups de cognac. Richter tombe dans le caniveau en plein hiver à Moscou et reste dans cette situation, comme un clochard, jusqu'à 5 heures du matin. Il finit par se réveiller et file chez les Neuhaus. Madame Neuhaus l'accueille et lui donne à boire du vin ! Il restera au final pendant deux jours sous le piano pour cuver ce qu'il a ingurgité… Il me raconte donc cette histoire extraordinaire et je lui demande d'attendre le lendemain afin de poursuivre devant la caméra. Le lendemain, je lui demande s'il peut me raconter l'histoire de la symphonie de Shostakovich, et il me regarde comme si j'étais le dernier des crétins, et me répond : "Mais je vous en ai parlé hier !". Avec Richter, tout était forcément différent…
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Votre carrière cinématographique est jalonnée de rencontres riches et sans doute déterminantes. Y a-t-il cependant des rendez-vous manqués ou des rencontres espérées qui ne se sont pas produites ?
Votre carrière cinématographique est jalonnée de rencontres riches et sans doute déterminantes. Y a-t-il cependant des rendez-vous manqués ou des rencontres espérées qui ne se sont pas produites ?
Oui, Carlos Kleiber. Il a déjà fait l'objet de deux films allemands. Je les ai vus et ils m'ont horrifié car ils ne traitent en rien de la grandeur du personnage. Cette façon d'expédier un tel sujet pour entrer dans les formats imposés par la télévision est insupportable ! On est ici bien loin du miracle dont j'ai bénéficié pour Richter. Un projet rendu possible grâce à mes producteurs qui l'ont soutenu en dépit de monstrueuses difficultés, mais aussi grâce à Gabrielle Babin, Chargée de programme pour Arte, qui a compris l'objet du film, lequel n'était certes pas de rentrer dans des cases. Il s'agissait de faire le film sur Richter et son format, sa durée, seraient définis par moi en fonction de mes ambitions. Malheureusement, la télévision est devenue incapable de gérer de telles perspectives. J'espère toutefois pouvoir faire quelque chose sur Kleiber. Nous ne nous sommes jamais rencontrés mais nous avons échangé pas mal de correspondance. Cet échange extraordinaire est en fait lié à Richter car j'avais demandé à Carlos Kleiber de faire le doublage de la voix de Richter pour satisfaire à la demande des Allemands. J'avais envoyé cette demande à Kleiber par lettre et il m'a répondu de façon foudroyante : "Je n'ai pas vu votre film, je vis avec. Quant à faire le doublage de cette voix, ce serait criminel…". Et de rajouter en français, "Et ce serait 100 % casse-pieds !". Nous avons entretenu ensuite une relation épistolaire jusqu'au jour où il s'est senti piégé. Cette relation s'est alors terminée par un silence total après qu'il m'ait dit : "Je suis un kapellmeister à la retraite et je souhaite mourir sans que mon nom n'apparaisse sur aucun livre, aucun film, aucun disque". Mais j'espère bien un jour pouvoir réaliser un film sur lui malgré l'obstacle majeur qui se présente en dehors des problèmes de droits…