Odile Versois
actrice
1930 - 1980
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Le plus beau souvenir russe de Tania [Tania de Poliakoff alias Odile Versois] est lié à la musique. A cause de ses années de danse et de notre père dont c'était la discipline préférée, Tania accorde de plus en plus de place à la musique dans sa vie. Elle aurait aimé être chef d'orchestre.
Tania « Je connais des œuvres entières par cœur. Si mon professeur de piano n'avait pas été asthmatique et aussi méchante, j'aurais peut-être abandonné la danse pour la musique. Depuis vingt-cinq ans je trimballe un piano à queue dans mes déménagements. J'ai toujours vécu avec un piano. Même rue d'Alsace, il y en avait un! Mais je n'y touche plus jamais; je ne parviendrais pas à jouer comme je le voudrais. En revanche, comme maman nous avait mises à la danse, tous mes enfants ont fait du piano. Tout cela explique mon émotion, lorsque j'ai rencontré Sviatoslav Richter. Je l'avais entendu jouer à Paris et j'avais été fascinée par la puissance de son jeu, par sa personnalité... A mon premier séjour à Moscou, on m'a demandé ce que j'aimerais faire. " Assister à un concert de Richter ", ai-je immédiatement répondu. " On va vous arranger ça ", m'a-t-on dit. Les deux semaines de mon séjour ont passé comme l'éclair...Sans nouvelles!
Puis : " Il ne joue pas, il n'est pas bien ", me dit-on l'avant-veille de mon départ. " Alors pourrais-je au moins le rencontrer? " Je pensais : c'est affreux, je vais partir de Moscou sans l'avoir vu. " On organisera une rencontre s'il va mieux. " Donc la veille de mon départ, sans nouvelles, je vais au magasin Goum acheter des souvenirs, des babioles pour les enfants, des petites choses pour accrocher à l'arbre de Noël... Il y avait un monde fou, j'avais couru... je suis rentrée à l'hôtel, rouge, épuisée. Dans le hall, l'interprète se précipite sur moi: " Je vous attends depuis deux heures, vous avez rendez-vous avec monsieur Richter, je vous emmène!
" Je me souviens de tous mes paquets tombant par terre dans le hall! Je suis arrivée le cœur battant à la porte des Richter. C'est lui qui est venu m'ouvrir : j'étais si émue que je suis restée muette dix secondes, incapable de bouger. Il m'a fait entrer dans le salon, une grande pièce avec deux pianos, il y avait sa femme (Nina Dorliac,1908-1998, ndr.), son professeur (Heinrich Neuhaus 1988-1964, ndr.)et une ou deux personnes. Il y avait du thé, des zakouski, une ambiance très douce. Nous avons commencé à parler, de choses et d'autres. Je ne savais pas quoi dire. Chacun alimentait la conversation, et moi, je ne pouvais penser qu'à une chose : « Il faut que je lui demande, je ne me pardonnerais jamais de ne pas lui avoir demandé, l'heure passe et il faut que je lui demande... Je n'osais pas... Et le temps avançait! Je lui dis que je l'avais entendu à Paris et que sous ses doigts j'avais découvert Debussy que je croyais pourtant bien connaître. Avec lui "La Cathédrale engloutie" avait été une révélation. Et j'étais tout à fait sincère. Il a joué Scriabine, il a joué des choses beaucoup plus spectaculaires, on avait alors l'impression qu'il allait briser son piano. Sa respiration était comme un souffle de forge. Mais Debussy avait été tout différent, j'avais été extrêmement touchée. Et soudain, il m'a regardée, et a dit : " C'est vrai? Comme je suis ému... parce que vous savez, je ne sais pas exactement comment jouer Debussy. Je n'étais pas certain que ma façon de l'approcher plaise en France!" Il a vu que j'étais sincère. Et moi je continuais à me désespérer et me répéter : " Il faut que je lui demande. " Je jetais des coups d'oeil discrets à ma montre. " Voilà, je vais bientôt être obligée de partir et je ne lui aurai pas demandé! " Alors je me suis jetée à l'eau " Ecoutez, ai-je dit, je vais me permettre de vous demander quelque chose. Je sais que je ne devrais pas. Mais je me reprocherais toujours de n'avoir pas osé. " Est-que vous ne joueriez pas quelque chose avant que je m'en aille? " Sa femme est tout de suite intervenue : " Non, non, Slava ne joue jamais devant personne, il travaille toujours pour lui tout seul. " J'ai dit : " Bien sûr, je comprends très bien. C'était simplement... je ne me serais pas pardonnée... " Et Slava s'est tourné vers moi et a dit : " Vous savez, je suis réellement fiévreux. "
Il avait une petite calotte tricotée sur le sommet de la tête comme les Tatars! Il a ajouté : " Regardez j'ai les mains moites. " Il s'est levé, s'est approché du clavier : " Voyez, mes mains dérapent sur les touches et puis je ne suis pas en doigts, je n'ai pas joué depuis plusieurs jours. Je ne suis pas bien, j'ai de la fièvre " Puis il s'assied sur le tabouret, face au piano. " Bon, écoutez, je ne suis pas en forme, vous me pardonnerez si ce n'est pas exactement ce que vous voulez mais, bon, je vais essayer un petit peu! " Et il a joué pendant une heure et demie. J'en aurais pleuré de bonheur. »
Puis : " Il ne joue pas, il n'est pas bien ", me dit-on l'avant-veille de mon départ. " Alors pourrais-je au moins le rencontrer? " Je pensais : c'est affreux, je vais partir de Moscou sans l'avoir vu. " On organisera une rencontre s'il va mieux. " Donc la veille de mon départ, sans nouvelles, je vais au magasin Goum acheter des souvenirs, des babioles pour les enfants, des petites choses pour accrocher à l'arbre de Noël... Il y avait un monde fou, j'avais couru... je suis rentrée à l'hôtel, rouge, épuisée. Dans le hall, l'interprète se précipite sur moi: " Je vous attends depuis deux heures, vous avez rendez-vous avec monsieur Richter, je vous emmène!
" Je me souviens de tous mes paquets tombant par terre dans le hall! Je suis arrivée le cœur battant à la porte des Richter. C'est lui qui est venu m'ouvrir : j'étais si émue que je suis restée muette dix secondes, incapable de bouger. Il m'a fait entrer dans le salon, une grande pièce avec deux pianos, il y avait sa femme (Nina Dorliac,1908-1998, ndr.), son professeur (Heinrich Neuhaus 1988-1964, ndr.)et une ou deux personnes. Il y avait du thé, des zakouski, une ambiance très douce. Nous avons commencé à parler, de choses et d'autres. Je ne savais pas quoi dire. Chacun alimentait la conversation, et moi, je ne pouvais penser qu'à une chose : « Il faut que je lui demande, je ne me pardonnerais jamais de ne pas lui avoir demandé, l'heure passe et il faut que je lui demande... Je n'osais pas... Et le temps avançait! Je lui dis que je l'avais entendu à Paris et que sous ses doigts j'avais découvert Debussy que je croyais pourtant bien connaître. Avec lui "La Cathédrale engloutie" avait été une révélation. Et j'étais tout à fait sincère. Il a joué Scriabine, il a joué des choses beaucoup plus spectaculaires, on avait alors l'impression qu'il allait briser son piano. Sa respiration était comme un souffle de forge. Mais Debussy avait été tout différent, j'avais été extrêmement touchée. Et soudain, il m'a regardée, et a dit : " C'est vrai? Comme je suis ému... parce que vous savez, je ne sais pas exactement comment jouer Debussy. Je n'étais pas certain que ma façon de l'approcher plaise en France!" Il a vu que j'étais sincère. Et moi je continuais à me désespérer et me répéter : " Il faut que je lui demande. " Je jetais des coups d'oeil discrets à ma montre. " Voilà, je vais bientôt être obligée de partir et je ne lui aurai pas demandé! " Alors je me suis jetée à l'eau " Ecoutez, ai-je dit, je vais me permettre de vous demander quelque chose. Je sais que je ne devrais pas. Mais je me reprocherais toujours de n'avoir pas osé. " Est-que vous ne joueriez pas quelque chose avant que je m'en aille? " Sa femme est tout de suite intervenue : " Non, non, Slava ne joue jamais devant personne, il travaille toujours pour lui tout seul. " J'ai dit : " Bien sûr, je comprends très bien. C'était simplement... je ne me serais pas pardonnée... " Et Slava s'est tourné vers moi et a dit : " Vous savez, je suis réellement fiévreux. "
Il avait une petite calotte tricotée sur le sommet de la tête comme les Tatars! Il a ajouté : " Regardez j'ai les mains moites. " Il s'est levé, s'est approché du clavier : " Voyez, mes mains dérapent sur les touches et puis je ne suis pas en doigts, je n'ai pas joué depuis plusieurs jours. Je ne suis pas bien, j'ai de la fièvre " Puis il s'assied sur le tabouret, face au piano. " Bon, écoutez, je ne suis pas en forme, vous me pardonnerez si ce n'est pas exactement ce que vous voulez mais, bon, je vais essayer un petit peu! " Et il a joué pendant une heure et demie. J'en aurais pleuré de bonheur. »
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Extrait tiré du livre "Babouchka", Edit. Ramsay, 1979, écrit par Marina Vlady, Hélène Vallier, Odile Versois, Olga Baïdar Poliakoff
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